Robin Murray ou la beauté de la vie,
essai photographique
Je raconte ici avec des images et des mots les moments forts partagés avec Robin depuis 1977 à Brighton jusqu'à sa disparition en 2017. Quarante années d'amitié jalonnées de projets plus enthousiasmants les uns que les autres.
Pour évoquer les moments de complicité avec Robin et les projets dans lesquels nous nous sommes engagés ensemble l'utilisation du temps présent s'est souvent imposée à moi tant la vitalité et l'intelligence de Robin gardent toute leur force.
Les années Brighton
Quand je suis arrivé à l' « Institute of Development Studies » (University of Sussex, Brighton) en 1977 j'ai immédiatement fait la connaissance de Robin, il s’est montré très intéressé par la mission que je venais d'effectuer en Angola. Il préparait un séminaire de plusieurs semaines sur les stratégies de développement pour une trentaine de responsables économiques de différents pays du Tiers Monde. Une semaine de ce séminaire fut consacrée à un jeu de rôle sur l'Angola, les participants répartis entre les trois tendances en opposition dans le Comité Central du MPLA, le Mouvement Populaire de Libération de l'Angola, qui venait de prendre en main les rênes du pouvoir : une première tendance libérale pro-occidentale, une deuxième pro-soviétique et une troisième strictement nationaliste. Chacun des trois groupes devait définir et défendre une stratégie de développement dans trois secteurs économiques clé du pays : le pétrole, le diamant et le café. Nous avons préparé pour chacun des participants un dossier sur ces trois secteurs avec des données chiffrées permettant d'effectuer les calculs appropriés.
Les participants ont pris ce jeu très à coeur, argumentant de manière rigoureuse sur les bénéfices économiques et politiques de leurs stratégies et les inconvénients des stratégies adverses. Pour le pétrole la confrontation a porté sur les avantages d'un partenariat respectivement avec une multinationale, avec l'URSS et avec l'Algérie. Pour le diamant l'affrontement s'est déroulé, d'une part, entre deux stratégies de poursuite de la collaboration avec le sud-africain De Beers, mais avec une exigence différente en matière de royalties et, d'autre part sur une stratégie d'alliance avec l'URSS en vue de sortir de cette domination. Pour le café les orientations politiques se sont exprimées à travers trois stratégies radicalement différentes : le maintien des propriétés coloniales existantes dans le souci d'éviter une chute de la production et de sa qualité ; la nationalisation de ces propriétés au bénéfice d'entreprises publiques qui mobiliseraient la population à la cubaine pour une série de tâches comme la récolte ; la constitution d'une multitude de petites exploitations par la redistribution des plantations existantes aux travailleurs et aux paysans. Après une semaine de débats intenses animés avec maestria par Robin les participants ont exprimé unanimement à quel point ce jeu les avait aidés à réfléchir aux diverses dimensions d'une stratégie de développement.
Dès mon arrivée Robin m'invita à joindre le « Brighton Labour Process Group » (BLPG), un groupe informel de réflexion sur la question du procès de travail. Le groupe avait publié dans le n°1 de « Capital and Class », la revue de la « Conference of Socialist Economists », un article « The capitalist labour process », une sorte de manifeste. Chaque semaine le vendredi soir nous analysions le procès de travail dans un secteur particulier, comme l'industrie, l'agriculture, l'éducation, la santé, la communication, la défense nationale ... ou bien nous développions un point théorique. Les « minutes » de ces réunions, toujours rédigées par Robin, sont des trésors de réflexion et de questionnement. Elles regorgent d'idées neuves dont certaines n'avaient pas été abordées dans nos discussions. Cette expérience a été d'autant plus enrichissante que le groupe était pluridisciplinaire et comprenait des personnalités de grande valeur comme les économistes Aboo Aumeeruddy, Fred Bienefeld, Diane Elson, Don Mather et Keith Smith, les philosophes John Mepham et Kate Soper, l'historien Stephen Yeo, la spécialiste de l'armement Mary Kaldor, l'anthropologue Caroline White, l'entrepreneur David Youlton...
Dans ce groupe nous étions plusieurs garçons « dialectically United » : c'était le nom de notre équipe de football où David Youlton était un pilier de la défense, Robin et John les stratèges du milieu de terrain et moi le « striker ». Les matches avaient trois mi-temps : tout d'abord le jeu où nous déroulions avec jubilation notre tactique à coup de passes, ensuite la douche (pendant laquelle se poursuivaient d'interminables discussions, par exemple sur la loi de la valeur, le fétichisme de la marchandise ou encore les exploits de Manchester United, le club de foot que « supportait » Robin depuis son enfance) et, enfin, le Pub, ce lieu convivial où l'on se sent « at home ». Nous jouions principalement avec des étudiants et chercheurs d'Amérique latine. Il y a quelques années, Robin a été invité au Brésil à une Conférence sur les stratégies industrielles. L'organisateur de cette rencontre s'apercevant que Robin ne le reconnaissait pas s'est exclamé « Robin, don’t you remember ? Dialectically United !».
Le séminaire sur le socialisme dans le Tiers Monde organisé par Robin durant six semaines en 1979, avec un financement du gouvernement britannique, permit à des responsables du secteur public et de la société civile de pays concernés (Ethiopie, Ile Maurice, Mozambique, Madagascar, Sri Lanka, Vietnam...) ainsi qu'à des chercheurs spécialisés sur certains pays (Cuba, Nicaragua, Perou, Chine, Cambodge, Vietnam, Algérie, Angola, Ile Maurice, Mozambique, Tanzanie) d'échanger et d'approfondir la question des formes d'organisation mises en oeuvre dans quelques secteurs clé comme l'industrie, l'agriculture, la santé et l'éducation. Les discussions mirent en lumière l'écart entre une conception étatiste autoritaire du socialisme et une conception démocratique s'appuyant sur les coopératives et les associations. L'accent était porté sur les innovations sociales et économiques. A cet égard les réflexions du Brighton Labour Process Group s'avéraient éclairantes.
Robin adore travailler et intervenir au sein d'un collectif dont il devient l'animateur naturel. C'est notamment le cas dans « QueenSpark Books », une association locale qui, depuis 1972, a publié des dizaines d'autobiographies d'hommes et de femmes vivant dans le quartier Queens Park de Brighton, pour la quasi totalité d’entre eux des ouvriers et des artisans. Ces histoires de vie, illustrées de photographies, documentent de manière vivante et humaine les transformations économiques et sociales qu'ont traversées ces personnes et leur communauté. Frances, la femme de Robin, était à la fois l'âme et une cheville ouvrière de cette association affiliée à la « Federation of Worker Writers and Community Publishers ». Le succès de QueenSpark Books repose en grande partie sur la collaboration fructueuse entre la personne qui raconte son histoire de vie et celles et ceux qui enregistrent ce récit et le transcrivent. C'est une forme de tissage où se complètent harmonieusement le travail de la trame et celui de la chaîne. Les membres de l'équipe, pour la plupart des historiens et historiennes, dont Frances, Ursula Howard et Stephen Yeo, sont parvenus à rendre à ces récits toute leur fraîcheur et leur profondeur.
Robin était également très engagé dans le journal « QueenSpark » un « street newspaper » qui était la voix de ce quartier sur les questions locales. Le journal était écrit en grande partie par les habitants et vendu porte à porte. J'étais un vendeur assidu de ce journal dans ma rue. A chaque numéro j'étais invité dans la plupart des maisons à prendre « a cup of tea » et à tailler une bavette.
Une autre implication de Robin : le « Hanover Community Centre » dont il anime par exemple, des journées de cuisine collective. C'était un quartier populaire où ce type d'interventions mettait en lumière les tensions latentes mais aussi les complémentarités entre la classe ouvrière et la nouvelle couche de travailleurs intellectuels. Un champ d'expérience privilégié pour l'action politique.
En 1980 l'équipe de QueenSpark se lançe dans la rédaction d'un livre pour combattre la politique monétariste de Thatcher qui s'attaquait aux services publics locaux à travers des coupes sombres dans les budgets de l'éducation, de la santé, des services sociaux et autres services tels que les parcs, l'environnement, le transport, le logement, les musées et les bibliothèques. « Brighton on the rocks, Monetarism and the local state » publié en 1982 combine trois langages : une analyse des statistiques, des entretiens avec le personnel des services publics, et des photographies de la situation vécue par les usagers et les travailleurs des services publics. Le livre doit énormément à l'analyse socio-économique extrêmement pointue faite par Robin des dépenses et de la fiscalité dans la collectivité locale de Brighton et de l'East Sussex. « Brighton on the rocks » a connu un grand succès, en particulier dans les collectivités locales confrontées aux mêmes problèmes. Publication de l'association « QueenSpark Books » il a été diffusé à 10.000 exemplaires.
Et la photographie ? Lorsque j’arrive à Brighton, Robin me fait découvrir les analyses du philosophe Walter Benjamin sur la photographie et les oeuvres du duo John Berger/Jean Mohr où se répondent avec tant de profondeur les images et les mots. Une autre manière de raconter. J'étais à ce point captivé par ces découvertes que mes collègues m'ont intronisé photographe du projet. Mes premiers pas de photographe. Bob Golby, un chauffeur de bus dirigeant syndical me propose de l'accompagner pendant une journée. Le lendemain je prends la première photo de lui en train de préparer un copieux breakfast dans sa cuisine, puis je le photographie durant toute sa journée au travail dans son bus, pour terminer le soir au pub.. Cette journée figure dans le livre sur une double page contenant 16 images sur lesquelles est indiquée l'heure de la prise de vue. J'ai ainsi passé beaucoup de temps dans des logements sociaux complètement dégradés où les familles s'ingénient à décorer chaque pièce et à cacher les fissures avec des objets personnels : photographies, affiches, dessins d'enfants, jouets, peluches, statuettes... Ce projet photographique m'a plongé dans la chaleur humaine de ces intérieurs, dans des habitations pleines d'humidité où il faisait un froid glacial. Les murs de ces logements disaient la dignité et la pauvreté.
Le NYS, une révolution de l'éducation aux Seychelles
En 1977 un gouvernement socialiste a pris le pouvoir aux Seychelles sous l'égide de France-Albert René. Un de ses projets clé était la mise en place d'un nouveau système d'éducation, en l'occurrence le « National Youth Service » (NYS) (Service National de la Jeunesse). Le NYS repose sur l'idée que c'est la jeunesse qui doit être le fer de lance de la transformation de la société, une société fortement imprégnée par l'esclavage et le capitalisme colonial. Il s'agissait de mener une action d'urgence d'envergure pour enrayer au plus vite la dérive du pays, notamment en donnant aux jeunes la possibilité de vivre et produire ensemble et d'acquérir les capacités correspondant aux valeurs d'une société socialiste : la coopération, l'égalité, la valorisation du travail manuel et de la culture seychelloise, l'initiative et la responsabilité. Le système scolaire à cette époque était très sélectif. La grande majorité des élèves étaient rejetés de l'école après 8 années d'un enseignement de très médiocre qualité, le nombre des élèves du secondaire, qui appartenaient quasi exclusivement à la bourgeoisie, étant extrêmement réduit.
En tant que consultant de l'Unesco je fus sollicité par le Président de faire des propositions pour la réalisation d'un projet qui réponde à la question clé de la transformation socialiste telle qu'elle est exprimée par le « Seychelles People's Progressive Front” (Front Populaire Progressiste des Seychelles). Je retournai à Brighton et contactai Robin qui s’enthousiasme pour ce projet. Nous rédigeons un premier rapport “The seed of the new society” (La semence de la nouvelle société, juillet 1980) dessinant les grandes lignes des formes d'organisation de villages de jeunes. Le rapport propose d'intégrer les trois sphères de la vie quotidienne (activités domestiques ; production ; récréation) incorporant sept courants : la politique, l'économie, la santé, la justice, la sécurité, la formation et l'information.
En application de cette proposition un camp expérimental est organisé par une équipe seychelloise très motivée. Frances y forme un groupe de jeunes à la production d’un journal « villaz la zenes » en trois langues (créol, français et anglais). Robin, présent aux Seychelles à ce moment, met une ambiance de feu dans le camp. Sur la base de cette expérience le gouvernement met en place plusieurs villages NYS qui accueillent pendant deux ans les jeunes en 9ème et 10ème année d'éducation. Cette organisation permettait d’assurer l'éducation de la quasi-totalité des jeunes du pays, garçons et filles, jusqu'à 16 ans dans un premier temps puis jusqu'à 17 ans, ce qui démocratisa radicalement l'accès des enfants des classes populaires à l'éducation.
Quelques mois après l'ouverture du premier village en 1981 le nouveau système d'éducation atteint sa vitesse de croisière intégrant les activités domestiques, la production et la récréation et les sept courants qui les traversent. Le système d'éducation-formation proprement dit est organisé dans le cadre d'un « core curriculum » (français, anglais et maths) et de blocs d'activité : agriculture, élevage, pêche, construction, santé, culture, information, chaque jeune passant par chacun de ces 7 blocs. Les disciplines (histoire, biologie, physique...) sont enseignées concrètement à partir de la pratique productive. Ainsi, la production des émissions de la station radio du NYS est liée à des projets de physique et le laboratoire de photos du journal « Vilaz la zenes » à des projets de chimie.
Ce premier village compte 810 jeunes volontaires dont 400 filles, répartis en 18 clusters de 48 élèves maximum, les garçons et les filles habitant des clusters séparés. Le coordinateur ou la coordinatrice du cluster élu pour un mois veille à la rotation et au bon fonctionnement des groupes domestiques et des équipes spécialisées (information, culture, sport, magasin, finances, production, santé...). La vie des clusters s'est avérée humainement très riche. De nombreuses activités culturelles s'y déroulent en toute spontanéité. Ce sont des lieux d'auto-formation permanente. Les jeunes y acquièrent un sens communautaire fondé sur des rapports de coopération.
Une enquête auprès des jeunes sur l'architecture du village fut menée avec l'aide de Hubert Murray (« Design and construction in the NYS »). Les observations faites par les jeunes ont été prises en compte pour la construction des nouveaux villages du NYS. Sur la base de cette enquête Hubert a conçu un centre de ressources fonctionnel et attractif qui a remporté le prix d'architecture des Seychelles.
En juin 1981, Robin et moi rédigeons un nouveau rapport « The NYS and the wider society : from the seed to the flower » (Le NYS et la société : de la semence à la fleur) qui analyse les relations entre le NYS et les divisions de la société seychelloise. Il comprend trois chapitres qui répondent à des enjeux stratégiques :
-L'économie capitaliste de la connaissance
-Vers une nouvelle forme d'examens
-Le NYS et l'économie coopérative
Un an plus tard nous rédigeons un troisième rapport “One year later” qui raconte les transformations du système dans quelques domaines par rapport au plan initial. Ainsi, l'activité agricole du village initialement organisée à la manière des sovkhozes soviétiques fut assez vite restructurée pour pallier une faible productivité, chacun des clusters (groupe d'une trentaine de jeunes) devenant responsable d'un lopin de terre qui lui était attribué. On passa alors d'un modèle étatique à un modèle coopératif qui s’avéra très fructueux.
En matière de représentation des filles aux postes de responsabilité du village on a également assisté à un changement positif. Constatant que très peu de filles étaient élues à ces niveaux de responsabilité, la direction du NYS mit en place un système de parité qui a donné de très bons résultats, les filles mettant un point d'honneur à exercer au mieux leurs responsabilités. Cette réforme a été bénéfique pour la société dans son ensemble puisque au sortir de leurs études nombre de filles qui avaient exercé des responsabilités au sein du NYS ont été élues à différents niveaux du système politique seychellois et sont devenues des actrices déterminantes du pays.
Le NYS a pu mobiliser des ressources humaines de grande qualité à commencer par une équipe de sept coordinateurs Seychellois sous la direction de Florence Benstrong : Bernard Shamlaye à l'Education ; Olsen Vidot à la Production, Eric Arnephy à l'Animation, Noëlla Antat aux Relations intérieures et extérieures, Julita César à la Santé, Benjamine Socrate à l'Administration ainsi que l'anglais Simon Henderson comme conseiller. Les 22 animateurs (13 hommes et 9 femmes) ont bénéficié d'une formation suivie à la fois théorique et pratique. Fin mars 1981 la répartition des enseignants par nationalité était la suivante : 8 Seychellois, 6 Guinéens, 3 Mauriciens, 6 Britanniques, 12 Canadiens, 3 Sri Lankais et une Belge.
Pendant sa période de lancement le NYS a fait venir avec grand profit des consultants pour des missions de courte durée. Ces personnes contractées en raison de leur compétence dans des domaines spécifiques et de leur ouverture d'esprit, ont accepté de venir sur une base volontaire parce que ce projet suscite leur enthousiasme. C’est dans ce cadre que sont intervenus :
- Frances Murray, animatrice du Friends'Centre et du journal communautaire QueenSpark à Brighton. Elle a animé le projet information dans le camp expérimental d'août 1980 et formé des animateurs et des jeunes à la confection d'un journal en trois langues : créol, anglais et français. Cette mission d'initiation a eu pour résultat la publication de 3 numéros du journal « Villaz Lazenes » rédigés et produits par les jeunes.
- Nguyen Huu Dong, sociologue et économiste enseignant aux universités de Nanterre, Hanoï et Alger. Il a contribué à la formation des animateurs et à l'élaboration d'une méthode de planification de la production du village et des clusters.
- Colin Lacey, professeur de Sciences de l'Education à l'Université du Sussex, Brighton. En collaboration étroite avec l'assistant coordinateur à l'éducation, il a aidé à concevoir un régime transitoire entre le système scolaire et l'éducation nouvelle du NYS et préparé les enseignants à cette période de transition. Il a également aidé à préparer une méthode pour l'élaboration des programmes et l'évaluation et à rechercher une alternative aux examens de Cambridge (O et A levels).
- Jean-Michel Carré, animateur du « Grain de sable » et réalisateur de cinéma. Il a animé, pour les jeunes, les animateurs et les enseignants, des séances de projection de 8 films dont « Histoire de ballon », « Une journée à Summerhill, « Sucre Amer » et « Alertez les bébés ». Il a également animé des séances de travail avec les enseignants sur la méthodologie de projets éducatifs. Malheureusement le film qu'il comptait réaliser n'a pas pu se faire.
- Kamoji Wachiira, écologiste, professeur au Kenyatta University College de Nairobi a mis en place un projet d'agriculture hydroponique géré par un groupe d'élèves sous la forme d'un club.
Dans ce beau projet, qui a duré 17 ans, les semences plantées par Robin, les nombreux acteurs du NYS et les intervenants spécifiques ont donné de belles fleurs, des immortelles.
KODAK
En 1982, suite à trois années d'intervention aux Seychelles, j’eus l’occasion de travailler en France sur la filière de la communication et de l’audiovisuel pour le Département du Val de Marne, en Région Parisienne. Le processus de la décentralisation était en route, et les Départements commençaient à mettre en place l’organisation de leurs nouvelles responsabilités. Le Département du Val-de-Marne avait à sa tête un élu communiste, la majorité étant composée de communistes et socialistes. L’emploi était une préoccupation forte de ce Département, touché par le déclin des emplois industriels comme toute la petite ceinture parisienne. L’idée était de jouer sur les atouts en activant toutes les synergies possibles, dans une logique de filière.
Je pris connaissance de la grave crise que traversait l’usine KODAK Pathé située à Vincennes, passée en moins de 10 ans de 3.000 à 2.000 salariés. L’usine fabriquait des surfaces sensibles pour la photographie et le cinéma. La Direction venait d’annoncer pour 1987 la fermeture de l’usine et de son centre de recherches très performant, s’attaquant à un potentiel industriel, scientifique et technologique de premier plan.
Sachant qu’il existait à Harrow au sein du Grand Londres une importante usine Kodak du même type, je pris contact avec Robin qui était à l’époque Directeur du Département de l’industrie et de l’emploi du GLC « Greater London Council » (Conseil du Grand Londres). Nous avons tout de suite vu qu'il existait là un potentiel important d'action commune entre les deux collectivités locales. Une belle histoire de rapprochements entre deux Collectivités Territoriales de part et d’autre de la Manche et de l’ensemble des syndicats des deux usines, puis d’autres sites en Europe, s’écrivit – réunissant cadres, chercheurs, ouvriers du Royaume Uni, de France, de Belgique et d’Italie.
D’abord eut lieu une visite à Londres d’élus et de techniciens du Val de Marne et de représentants des syndicats de l’usine et du centre de recherches de Vincennes ; puis Robin se rendit à Vincennes accompagné de techniciens du GLC et de représentants syndicaux de l’usine et du centre de recherche d’Harrow. A l’occasion de cette visite le GLC et le Conseil Général du Département du Val-de-Marne s’engagèrent à mener un travail conjoint d’étude et de recherche sur l’usine et le centre de recherches de Harrow et la filiale Kodak ltd et sur l’usine et le centre de recherches de Vincennes et la filiale Kodak Pathé.
En juin 1983 le Conseil Général du Val-de-Marne organisa en coopération avec le Conseil du Grand Londres représenté par Michael Ward et Robin une « Journée d'Etude et d'Information » à laquelle participèrent les représentants de l'ensemble des syndicats de l'entreprise Kodak ltd et de l'entreprise Kodak Pathé des établissements des 5 sites français : Vincennes, Châlon-sur-Saône, Sevran, Marseille et du Siège de Paris.
Le rapprochement des syndicalistes des deux pays et le croisement de leurs informations leur permirent de mieux comprendre la stratégie de restructuration de la firme au Royaume Uni comme en France. La première étape à l’œuvre consistait à délocaliser une partie des activités vers un autre site national (le Nottinghamshire pour Harrow, Châlon-sur-Saône pour Vincennes) tout en réduisant considérablement les effectifs et en misant sur la rivalité entre une main d’œuvre fortement syndicalisée dans les pôles urbains avec une main d’œuvre de moins grande tradition syndicale en zone rurale. Le rapprochement des salariés à l’échelle européenne leur permit aussi de faire le constat que les activités de recherche et développement d'Harrow et de Vincennes allaient être entièrement transférées au siège de Rochester aux Etats-Unis. Les chercheurs et techniciens de ces deux centres de recherches ont pu se rendre compte que leurs travaux respectifs de conception de nouveaux produits photographiques étaient bloqués et voués à l'échec par la stratégie du management international de la firme.
Il était clair pour les syndicats que l'entreprise britannique Kodak ltd et l'entreprise française Kodak Pathé étaient devenues des fictions, les décisions se prenant à un niveau beaucoup plus large à la fois européen et mondial. Mais le management des deux compagnies niait cette évidence. Face à cette situation les syndicats des deux pays réunis à Vincennes ont décidé de travailler ensemble. Ils ont créé une organisation commune avec son propre journal « Viewfinder ». Les syndicats italiens et belges s'y sont joints, le journal devenu KODAK EUROPE était alors écrit en anglais et en français.
C'est dans ce contexte que j'ai fait la connaissance de Claire, elle était en charge du dossier Kodak pour le département du Val de Marne. Nous avons accompagné ensemble ce processus de coopération européenne des syndicats Kodak Notre mutualisation était telle que plus tard nous avons décidé de vivre ensemble ! (Clic Clac Kodak). En 1985 Claire, venue me rejoindre à Londres, a poursuivi ce travail d'appui dans le cadre de l' « Industry and Employment Branch » du GLC, sous la conduite de Robin.
Plusieurs conférences furent organisées en Angleterre, en France et en Italie, au cours desquelles l'accent était mis sur le besoin d'unité à l'échelle européenne, y compris entre syndicats et management, contre la société mère l' Eastman Kodak Company aux Etats-Unis, en vue de protéger la recherche-développement et d'investir dans de nouveaux produits en Europe. Les responsables syndicaux ont plaidé pour des négociations directes avec le management européen afin de maintenir en Europe le savoir-faire collectif accumulé depuis des années et son potentiel d'innovation. Le GLC a financé le journal qui était envoyé en milliers d'exemplaires à partir de la gare Victoria à Londres vers les sièges des syndicats d'Europe. Le GLC et le Conseil Général du Val-de-Marne ont appuyé les syndicats Kodak auprès de la Commission Européenne et du Parlement Européen.
Cette initiative Kodak menée avec détermination par deux collectivités territoriales de deux pays européens conjointement avec les syndicats de plusieurs pays européens est une expérience exemplaire à plus d'un titre. L’abolition du GLC l’interrompit brutalement. S’agissant de la stratégie de la multinationale, le rapport de forces semble avoir joué à son profit puisque la plupart des activités de Kodak ont cessé en Europe. Mais très vite l'Eastman Kodak a fait faillite plongeant la ville de Rochester dans la misère. L'erreur stratégique de Kodak est d'avoir cassé le travailleur collectif de ses deux centres de recherche européens, ce qui l'a empêché de se positionner sur de nouveaux produits, en particulier sur le numérique.
TWIN et TWIN Trading
Le GLC « Greater London Council » (Conseil du Grand Londres), collectivité de 7 millions d'habitants, était, avant sa dissolution par le gouvernement Thatcher en 1986, un exemple de réalisation d'une stratégie socialiste alternative aux politiques sociales-démocrates d'inspiration keynésienne qu'adoptaient mécaniquement les partis de gauche européens dès qu'ils accédaient au pouvoir. Une alternative socialiste au slogan de Margaret Thatcher « There is no alternative ». C’est dans cette optique que le GLC élabore sous la conduite de Robin Murray une stratégie industrielle qui oppose à la rationalisation capitaliste une restructuration dans l'intérêt des travailleurs. Le GLC affichait chaque jour sur sa façade une gigantesque banderole indiquant le nombre de chômeurs, face au Bureau de M.Thatcher de l'autre côté de la Tamise.
De fin 1983 à 86 j'ai travaillé, en relation étroite avec Robin et Michael Baratt Brown, à la conception et à la mise en place d'un système de coopération entre le GLC et le Tiers Monde en vue de créer des emplois durables, d'améliorer la qualité du travail et les conditions de vie des producteurs.
Dans cette perspective le GLC a financé la création de deux structures : d'une part TWIN « Third World Information Network » , une ONG ayant le statut de « Charity » chargée de recherche, d'information et d'éducation en matière de commerce et de technologie et, d'autre part TWIN TRADING, une « company limited by guarantee » c'est à dire qui peut mener des activités commerciales et donc faire des profits mais ne peut les distribuer, elle doit impérativement les consacrer à ses propres activités. Membre clé du Conseil de Suivi « Advisory Board » de ces deux structures, Robin y a joué dès le départ un rôle stratégique.
La finalité de ces organisations est de développer de nouvelles formes de relations économiques entre le Sud et le Nord ou, plus précisément, entre des organisations progressistes du Tiers Monde et du Premier Monde, des relations dénuées d'exploitation fondées sur l'avantage mutuel des parties et leur indépendance. Comme l'ont montré les travaux de Robin, ces relations, qui sont actuellement contrôlées par les multinationales, font des dégâts économiques, sociaux et environnementaux aussi bien dans le Sud que dans le Nord. Il est dès lors impératif d'organiser une alternative au système dominant actuel de commerce et de transfert de technologie.
L'idée est de créer pour les producteurs du Tiers Monde des opportunités pour approvisionner les consommateurs européens en produits de bonne qualité à des prix inférieurs en permettant à ces producteurs de garder pour eux une part maximale de la valeur qu'ils créent. Pour ce faire il convient de mobiliser des moyens de formation, de recherche et de développement ainsi que des ressources de manière à contribuer à la production de technologies appropriées aux besoins des producteurs du Tiers Monde.
En février 1985 le GLC organise avec l'appui technique de Twin Trading une conférence internationale « Third World Trade and Technology Conference » réunissant des représentants de 22 pays d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et des Caraïbes, de plusieurs pays européens et de nombreux participants de Grande Bretagne. La plupart des participants sont des acteurs du développement appelés à devenir des partenaires de TWIN et TWIN Trading.
Avec l'un d'entre eux, Mazid Ndiaye, président de l'ONG RADI (Réseau Africain pour le Développement Intégré) nous avons immédiatement élaboré un « Projet d'appui au développement des cultures de contre-saison dans trois villages de la région de Mbour au Sénégal » financé par l'Union Européenne. TWIN a aidé les associations paysannes de ces trois villages à se doter d'une technologie d'irrigation adaptée, ce qui leur a permis d'approvisionner en légumes frais pendant plusieurs années les hôtels de cette région touristique. C'était une forme de commerce équitable en circuit court, les petits producteurs locaux fournissant ces denrées aux touristes étrangers à un prix correct grâce à la durabilité de l'opération.
TWIN et TWIN Trading ont principalement oeuvré dans deux domaines d'activité :
a) la production et l'échange de technologies socialement utiles. A cet égard nous avons pu bénéficier des ressources du Greater London Enterprise Board (GLEB) et de ses réseaux technologiques (Energie, Textile, Transports, Technologies de l'information et de la communication). Ces réseaux mis en place par le GLC sous la conduite éclairée et enthousiaste de Robin sont des lieux où se développent une coopération entre entreprises, universités, instituts polytechniques, bureaux d'étude, chercheurs individuels, en vue de mettre au point de nouveaux biens susceptibles d'être produits par des entreprises de Londres ou du Tiers Monde. Le principe de base est de partir des besoins des organisations du Tiers monde en biens et services dans les secteurs où TWIN Trading peut fournir une expertise technique et économique.
Voici trois exemples de projets menés la première année. Nous avons établi une coopération entre une entreprise mozambicaine de bois et une petite entreprise londonienne de meubles, la première fournissant à la seconde le bois découpé pour la fabrication de lits par la seconde. Au Vietnam nous avons aidé une entreprise publique de conserve d'ananas à identifier une technologie appropriée compte tenu de sa taille et de sa capacité d'approvisionnement en matière première. Nous avons fourni des ordinateurs à une organisation du Nicaragua en échange de produits d'artisanat, dont des « rocking chairs » et des cigares, suivant un système de troc.
b) Le commerce entre les petits producteurs du Sud et les consommateurs du Nord. En éliminant la chaîne des intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs on permet aux premiers d'obtenir une meilleure rémunération de leur travail. C'est le principe du commerce équitable qui table aussi sur la solidarité des consommateurs du Nord. Mais TWIN Trading va plus loin en établissant un lien direct entre producteurs et consommateurs, permettant à ces derniers, à travers des coopératives, d'influencer le processus de production et de commercialisation. Ces structures de consommation ont donné leur avis aux organisations de producteurs sur le goût du café, du chocolat et des noix ainsi que sur leur empaquetage et même sur leur nom de marque comme le chocolat « Divine », les noix « Liberation » et le « Cafédirect ». Robin a plaidé avec enthousiasme pour ces appellations.
Nous avons commencé par importer du Nicaragua du café produit par des organisations de petits producteurs, à le torréfier et à le commercialiser à travers des groupes sympathisants comme les associations d'étudiants et les syndicats. Actuellement TWIN et TWIN Trading comptent environ 25 salariés, qui sont à la fois compétents et motivés, travaillant avec 43 organisations représentant 300.000 petits producteurs de café, de cacao et de noix d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Ces produits sont commercialisés dans les supermarchés. A la tête du Conseil de Suivi de TWIN et TWIN Trading pendant près de 30 ans Robin a joué un rôle clé pour que soient appliqués les principes sociaux, politiques et économiques qui sont à la base de ce projet.
The three H : Head, Heart and Hands
Robin aimait dire qu'il fallait agir avec les trois H : la tête, le coeur et les mains. Il incarne cette trilogie.
La tête d'abord. D'une intelligence lumineuse et d'une grande culture il a un esprit autonome d'une grande créativité. Il a stimulé intellectuellement des générations d’étudiants et de participants aux nombreuses sessions de formation et conférences qu’il a données. Dans les actions qu'il menait il instillait des réflexions théoriques qui en faisaient un champ d'expérimentation fertile.
Et le coeur en même temps. Le cerveau de Robin bat au rythme de son coeur. Il a toujours été passionné par les gens et pour ce qu’il peut entreprendre avec d’autres. Il respire la gaité et vous la communique. D'où son charisme et sa capacité à fédérer les énergies autour des projets qu'il anime. Il se démultiplie pour ses proches et ses amis. Il écoute et débat avec passion. Il y eu tant de discussions où nous nous arrêtions dans tous les espaces possibles au moment des échanges les plus intenses : au milieu des Downs, des chemins du Cumberland, des caillebotis enneigés des FAgnes de Wallonie, des sentiers des îles seychelloises, des Murs à Pêches à Montreuil, de l’eau du Lac Okanagan et de Sugar Lake, ou des chenaux du Bassin d’Arcachon, avant de reprendre notre marche … A partir du moment où je suis vraiment entré en photographie Robin est devenu mon meilleur regardeur et commentateur.
Et les mains bien sûr. Il met la main à la pâte dans les travaux les plus modestes comme en intervenant directement sur le terrain par une présence active pour les causes qu'il défend. Sa réflexion théorique était nourrie par sa pratique. A une carrière universitaire qui pouvait lui tendre les bras il a privilégié orienter son énergie vers des actions d’innovation économique, sociale et environnementale..
Robin avait beaucoup d'admiration pour William Morris qui a eu un engagement intense lié à ses convictions socialistes et à sa vision de la beauté qu'il voulait restituer à tous. Lorsque William Morris décède en 1896, son médecin déclare qu'il a entrepris le travail de dix hommes au cours de sa vie. Combien de Robin peut on aujourd’hui additionner ?
L'économie politique
Pour Robin le socialisme n'a tout son sens que s'il est à la fois économique, écologique et social. Il est très critique de la vieille conception « étatique » du socialisme. Il a montré avec « The London Industrial Strategy » du GLC et d'autres travaux à quel point l'économie est avant tout une question de rapports de production plutôt que de distribution. Il a également mis en lumière le rôle clé que joue déjà et peut jouer beaucoup plus encore l'économie sociale et solidaire dans une stratégie de développement économique et social. Enfin pour lui l'économie et l'écologie doivent être étroitement liées, se renforçant mutuellement. Il donnait parfois l’impression d’être idéaliste ou utopiste mais il avait le don de donner corps aux plus belles utopies économiques et écologiques.
Quelques jours avant sa disparition il m’expliquait que le livre qui a le plus transformé sa vie est « Le Capital » de Marx qu'il a lu passionnément dans le cadre d'un Capital reading group en arrivant à l'Université du Sussex. Ce marxisme il l’a libéré de ses pesanteurs dogmatiques, lui donnant, avec un joyeux éclectisme, un visage humain où le rêve devient réalité.
Ces jours là nous l'avons entendu, Frances, Beth et moi, dérouler par moments à voix haute, de manière fragmentaire, le contenu d'un livre testament à un auditoire imaginaire. Un livre sur l'évolution du capitalisme qui mettait l'accent sur l’histoire de la monnaie depuis la Mésopotamie au IIIe millénaire. Un livre qui semble parfaitement structuré dans sa tête. Au moment où j'ai dû le quitter – il était très tard - il annonçait un chapitre sur la contradiction entre capitalisme et démocratie.
La poésie
Les trois H il les relie par son sens de la poésie. Sa vraie passion. Il s'amusait à confectionner des calendriers avec un poème soigneusement choisi pour chaque mois. Son calendrier 2008 « A Calendar of Water Poems » a inspiré mon travail photographique « Hymne à l'eau ». Ce calendrier s'ouvre en janvier sur « Sea poem » d'Alice Oswald :
« what is water in the eyes of water
loose inquisitive fragile anxious
a wave, a winged form
splitting up into sharp glances »...
et se referme en décembre sur « Snow and Snow » de Ted Hughes :
« Snow is sometimes a she, a soft one.
Her kiss on your cheek, her finger on your sleeve
In early December, on a warm evening,
And you turn to meet her, saying 'It is snowing !'
But it is not. And nobody's there.
Empty and calm is the air. » ...
J'ai eu le grand bonheur de pouvoir passer quelques jours avec Robin avant qu'il ne nous quitte. Il avait beaucoup de mal à respirer. Son amour de la poésie l’aidait beaucoup. J'ai pris le relais de Mika et Beth, qui lui lisaient des poèmes. La musique de la poésie l'enchantait au point d'apaiser sa respiration. A mon tour, j’ai eu la joie de réciter pour lui quelques poèmes que j’aime et qu’il recevait avec une immense attention. J’en choisis ici quelques extraits :
- « Recueillement » de Charles Baudelaire :
« Sois sage ô ma Douleur et tiens toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir, il descend, le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci. » ...
- « Sensation » d'Arthur Rimbaud :
...« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, - heureux comme avec une femme. » ...
- « La Chanson du Mal-aimé » de Guillaume Apollinaire:
… « Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir » ...
- « Marie » également de Guillaume Apollinaire:
… « Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu'elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux » ...
- « Brise marine » de Stéphane Mallarmé:
« La chair est triste, hélas ! Et j'ai lu tous les livres
Fuir ! Là bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux ! » ...
J'entends encore Robin réciter « The leaden echo and the golden echo » de Gerard Manlay Hopkins :
« How to keep – is there any, any, is there none such, nowhere known some, bow or brooch or braid or brace, lace, latch or catch or key to keep.
Back beauty, keep it, beauty, beauty, beauty...from vanishing away ? … »
« L'écho de plomb et l'écho d'or »
« Comment retenir – n'y a-t-il pas une telle chose, quelque part comme, noeud ou broche, lacet ou lien, loquet, cliquet ou clé pour retenir
La Beauté, l'empêcher, la beauté, la beauté, la beauté de s 'évader, s'évanouir ? ... »
(traduction de Roger Asselineau)
La réponse est dans le « golden echo », l'écho d'or dont Robin avait sa propre conception. L'accomplissement d'un projet se lit à l'aune de l'écho d'or qui résonne, un écho qui se moque de la mort. Robin ou la beauté de la vie.
Olivier Le Brun
Montage de l'essai photographique par Gaël Delpech